La patience s'est imposée jusqu'au bout : il s'est passé très exactement 6 mois entre le tout premier contact avec l'horloger chargé de réviser cette montre - et éventuellement de lui trouver un acquéreur... - et mon déplacement pour en prendre possession. Quelques mois à discuter vaguement mais aussi à vérifier les informations disponibles sur cette montre ; puis tout s’accélère dès lors que l'accord financier est trouvé et que l'impatience d'en devenir le nouveau propriétaire augmente de manière soudaine et sérieuse. Dans les derniers jours, j'effectue le règlement - sans avoir jamais vu autre chose que des photos... - et décide de m'organiser pour parcourir les quelques 850 kilomètres aller/retour qui me séparent de la montre plutôt que de risquer un envoi par la Poste ou autres moyens de courrier express en lesquels j'ai une confiance toute relative dans ces moments. Finalement, l'histoire et la recherche d'informations qui accompagnent cette acquisition sont, à mon sens, autant sinon plus importantes que sa simple possession.

Voici une photo avant d'aborder justement un peu de son histoire :


Le lendemain de la récupération, sur son nouveau bracelet en autruche
en accord avec la patine du cadran

A première vue, rien de transcendant pour ce chronographe deux compteurs. Quelques caractéristiques, parmi les plus évidentes, pour commencer :

- un calibre Valjoux 22 modifié avec ajout de la fonction retour en vol
- une lunette tournante bi-directionnelle et crantée avec un simple repère
- un totalisateur 15 minutes pour la fonction chronographe à 3h et la seconde permanente à 9h
- un numéro de série à 4 chiffres gravé de manière bien visible sur le fond

Les photos communiquées dans un premier temps permettent également de constater l'étonnante présence d'un antichoc - généralement, il manque cruellement sur les Breguet type 20 - et la non modification de la référence du calibre : Breguet avait pour habitude de graver un "2" supplémentaire devant la référence "22" du calibre Valjoux afin de signifier l'ajout de la fonction retour en vol.

Breguet étant une des rares manufactures à disposer encore de ses registres d'archives, elle offre cet énorme avantage aux amateurs & collectionneurs de pouvoir obtenir les quelques informations disponibles pour authentifier une montre ou tout du moins y participer. Monsieur Emmanuel Breguet, déjà consulté par le passé pour d'autres montres qui ne sont pas devenues miennes, a l'amabilité de se rendre personnellement disponible pour répondre aux demandes sur la base du numéro figurant sur le fond et de quelques photos. Les informations obtenues sont les suivantes :

- l'adéquation essentielle entre la montre, son numéro de série et les archives
- une date de production établie à 1956
- aucune information disponible sur la vente
- un retour aux ateliers Breguet en 1958 qui permet de connaitre le nom de la personne (Monsieur B.) alors considérée comme en étant "propriétaire"

J'évoque ce dernier élément avec l'horloger qui est resté mon seul contact jusqu'au jour de l'échange. J'apprends alors que le propriétaire actuel est le beau-fils de la personne dont le nom est consigné dans les archives au moment de la révision en 1958 et qu'il a simplement hérité de cette montre à son décès. Ces éléments finissent de me mettre en confiance et je m'occupe de finaliser la transaction. La discussion portera également sur l'étendue de la restauration et la nécessité de respecter la montre et son état d'origine mais aussi les traces de son vécu.

Si je m'en tiens à l'ordre chronologique, je n'en sais pas plus au moment de prendre livraison de la montre. Après un trajet peu excitant d'environ 4h30, essentiellement sous la pluie, j'arrive en milieu d'après-midi dans le village de l'horloger par une éclaircie salvatrice. Je prends possession sans plus attendre de la montre et, tout aussi rapidement, j'exprime ma frustration à l'idée de ne pouvoir rencontrer l'ancien propriétaire. L'horloger m'informe qu'il était présent voilà quelques minutes et qu'il doit être possible de le retrouver dans l'un des cafés du coin ; on se met en route pour la tournée des cafés et on le retrouve effectivement dans le second endroit visité.

Une fois les présentations effectuées, j'essaie d'obtenir de plus amples informations. Pour faire court, j'apprends que Monsieur B., identifié comme propriétaire de la montre en 1958, fut pilote dans l'Aéronavale pendant la seconde guerre mondiale avant de finir sa carrière à Vélizy-Villacoublay chez Sud Aviation sans toutefois savoir à quelles responsabilités ; il serait décédé dans les années 70. La discussion est sympathique et plaisante mais je comprends aussi que ce sont des souvenirs lointains et peut-être douloureux auxquels je fais appel. Je fais en sorte de ne pas éterniser la conversation et me satisfais de ce bref échange pour formaliser le passage de témoin.

La discussion se poursuit agréablement pendant une paire d'heures avec l'horloger à son atelier. D'où je suis d'ailleurs reparti avec quelques pièces horlogères supplémentaires. Alors que j'ai initialement prévu de passer la nuit sur place pour étaler la route sur deux jours, le ciel menaçant ne rend pas la région très accueillante et m'incite à rentrer directement ; c'est sous une pluie battante et incessante que le trajet, forcément pénible, a fortiori de nuit, se fera.


A l'heure du retour, minuit passé de quelques minutes, elle est encore montée sur son vieux bracelet

Une fois la montre acquise, je poursuis les contacts avec la maison Breguet notamment en vue d'obtenir un extrait officiel des archives. Deux éléments, parmi ceux relevés ci-dessus, se révèlent donc inhabituels et génèrent des interrogations : la présence d'un antichoc et l'absence d'information sur la vente.

Bien que ne disposant d'aucuns marquages militaires gravés sur le fond, un nouveau détail apparaît : il s'avère finalement que si la montre est présente dans les archives Breguet, elle l'est plus précisément dans le registre des Type 20 militaires mais, selon les propres mots de Monsieur Emmanuel Breguet, "curieusement sous l’appellation rarissime de Type 21". Les informations étant ce qu'elles sont, il n'est pas possible d'en savoir plus. Dès lors, une hypothèse discutée est  que cette montre, en l'absence de mention de vente et en présence d'un antichoc, pourrait être un prototype en réponse au cahier des charges de l'armée datant d'avril 1956 pour le "Programme technique des montres chronographes bracelets Type 21 destinées à l'emploi en vol". La date de production correspond et la présence de l'antichoc était réclamé par ce cahier des charges (article 2.1.1.) entre autres caractéristiques techniques.


Copie de la première page du cahier des charges aimablement fourni par Monsieur Laurent Dodane

En l'état, même s'il reste quelques pistes difficiles à explorer, il est absolument impossible d'affirmer quoi que ce soit de définitif au sujet de cette montre mais ce mystère ne fait que s'ajouter à son charme et à mon plaisir de la posséder.

J'en profite ici pour renouveler chaleureusement mes remerciements à Monsieur Emmanuel Breguet, Directeur Breguet France et Conservateur du Musée et des Archives Breguet, pour son aide précieuse.